Les Victoires de la musique à Nantes en février 2011( direct)
Elle faisait partie de notre famille musicale : depuis si longtemps nous l'accompagnions !
Je crois que je l'ai rencontrée pour la première fois en 1974 avec
l'orchestre du Capitole de Toulouse dans lequel je débutais ma carrière
aussi. Ensuite, elle était devenue notre grande soeur,
aimait à venir à Nantes parmi nous et sa sympathie et sa simplicité
exacerbaient notre joie de faire la musique ensemble. Nous étions
avec elle aux "Victoires de la musique" en février 2011 (où elle
obtint une "Victoire d'honneur" ), ainsi qu'aux "Folles journées"
de Nantes en février 2012, où nous l'accompagnions pour la dernière fois.
La sachant perdue et consciente que nous ne la reverrions
probablement plus, je me suis rendue dans sa loge après le concert
pour la remercier et lui dire "au revoir", une boule dans la
gorge. Sa bise est restée imprimée sur ma joue dans un "arrêt sur image"...
Voici un article d'un critique parisien ( merci Magali pour le partage
de cet article dont on ignore l'auteur...), suite
au dernier concert de Brigitte, le 12 juin dernier.
(Brigitte s'est éteinte samedi 23 juin, à l'âge de 59 ans).
Brigitte Engerer – Théâtre des Champs Elysées – 12 juin 2012 : Hypnotique et stupéfiante Brigitte Engerer
avec l’Orchestre de chambre de Paris au TCE
L’orchestre de Chambre de Paris sous la direction de Joseph Swensen livrait ses dernières notes de la saison.
Brigitte Engerer a transcendé le temps et creusé le ciel de sa musique pour un concert exceptionnel et inoubliable.
« ….. La salle est pleine des loges au parterre, le concert commence par un petit discours précisant
que Brigitte Engerer malade depuis plusieurs semaines ne pourra pas physiquement jouer le concerto pour piano
numéro 2 en fa mineur de Chopin mais propose à la place le concerto pour piano de Schumann…. » « … Le public
n’est pas déçu, voir Brigitte Engerer en soi est une aventure puissante, invitation à un voyage magnifique quelle que
soit son choix d’œuvre. A ce moment précis nous ne savons pas que le temps va s’arrêter pour un concert inoubliable.
Un piano est installé, l’orchestre trouve une nouvelle place… Soutenue d’un bras par le chef et d’une canne,
Brigitte Engerer arrive sur scène. Sourire de madone, fragilité extrême, elle s’installe au piano, soulève sa jambe
de ses mains pour la placer sur la pédale et d’un humour ravageur dit au chef « C’est fait ! O K ! ».
Le temps s’est déjà arrêté mais lorsque le concerto pour piano de Schumann commence plus rien n’existe,
la musique creuse le ciel, la virtuosité de Brigitte Engerer est indicible.
L’orchestre retrouve ses superbes couleurs, chaque instrument raisonne de beauté, la lumière apparaît et nous
caresse de ses halos tellement rares. Infaillible dans sa technique, héroïque dans sa prouesse, Brigitte Engerer s’offre
tout entière aux spectateurs et à l’orchestre, son corps et ses doigts dansent avec délicatesse sur le clavier, chaque
son vibre au plus profond, le raffinement de son jeu et sa présence puissante coupe le souffle de la salle suspendue
aux notes d’une virtuosité non démonstrative.
Comme une funambule au dessus un espace immensément vide, Brigitte Engerer tend un fil de musique solide et offre
sa maturité et sa sensibilité à l’orchestre.
Porteur et porté l’orchestre de chambre de Paris dont le chef est caché par le piano a un son superbe, l’espace est plein,
la matière sonore en mouvement, la diversité thématique et la valeur lyrique du concerto sont quasi parfaite.
La dernière note résonne, les spectateurs applaudissent à s’en rompre les membres, des bravos sortent de toutes parts.
Brigitte Engerer tient à peine debout, elle part en coulisse, pas une seconde sans un applaudissement.
Elle revient, se réinstalle au piano et dans une diction altérée par le manque de souffle annonce qu’elle va jouer le
concerto pour piano n°2 de Chopin mais qu’ils ne joueront que le mouvement lent. Toujours avec humour elle
précise qu’il est magnifique !
Les spectateurs replongent dans un autre univers musical, Chopin lyrique et mélodieux, on sent la flamme de la
passion gronder sous des sonorités tendres et romantiques. Un moment suspendu aux doigtsdanseurs virtuoses
de Brigitte Engerer. L’essence de l’œuvre est là comme si elle sortait de ses doigts et l’habitait depuis toujours.
Sans mystère elle partage avec l’orchestre une sonorité rare, une présence unique et un touché inimitable.
Brigitte Engerer est une virtuose, le monde entier s’arrache son talent et ses interprétations mais ce 12 juin elle
transcende tout, la maladie, le temps, la vie pour n’être que musique et offrir une fois de plus de l’Amour sans
chamallow, ni fioriture, sans compassionou pathos avec appétit, force, humour et joie. Rare sont les moments
aussi fort en musique particulièrement dans les grandes maisons où trop souvent les virtuoses veulent briller
seul et choisissent d’être « star » avant d’être artiste.
Ici tout n’était qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.
La foule est debout en larmes toutes générations confondues, les applaudissements fusent, Brigitte Engerer
est à bout de force, la prouesse physique qu’elle vient de réaliser est inimaginable pour qui n’a jamais expérimenté
la musique. Elle ne tient plus debout, s’effondre, le personnel du théâtre comme un seul homme la porte avec
délicatesse sur une chaise sous les applaudissements incessant des spectateurs inquiets. Sur un fauteuil roulant
Brigite Engerer revient tout sourire dire au revoir, « fait le clown » avec générosité et humour, le partage avec la salle
et l’orchestre est total. Un moment musical puissant et un morceau de vie absolument inoubliable.
La musique a dépassé la vie elle doit comme les applaudissements des spectateurs médusés continuer à porter
Brigitte Engerer pour qu’elle nous livre encore et toujours la musique comme personne ne peut et ne
pourra le faire à sa place…. »